Il me semble que «le petit poème en prose» moderne doit présenter les trois caractères suivants :
1° Il doit d’abord être un tout organique, une cristallisation, un morceau de prose autonome. On ne peut donc considérer comme un poème en prose un extrait d’un morceau de prose ordinaire, fût il poétique. L’agrandissement d’un détail n’est pas un tableau. Ces poèmes en prose involontaires doivent être éliminés d’une anthologie et Maurice CHAPELAN a eu tort de mettre dans son anthologie des extraits de LAMENNAIS, RENAN, BLOY, etc., comme j’ai eu tort de mettre dans le tome 2 de Poésie Vivante, un long texte de Julien GRACQ qui est de la prose poétique, mais non un poème en prose.
2° Le deuxième caractère du poème en prose est la gratuité : il ne doit avoir aucune fin pas plus narrative que démonstrative. Il ne doit être ni une anecdote, ni un conte, ni une histoire, ni une fable, mais un poème seulement.
3° Enfin dernier caractère, la brièveté. Souvenez vous de ce que disait Edgar Poe sur le «Poème court» – un long poème n’existe pas : «ce que l’on entend par long poème est une parfaite contradiction de termes» – et que reprenait Baudelaire. Le poème en prose doit présenter une grande économie de moyens.
Ce qu’Edmond JALOUX en 1942, résumait de la façon suivante : un morceau de prose suffisamment bref, uni et serré comme un bloc de cristal, et dans lequel se jouent cent reflets divers, une création libre n’ayant d’autre nécessité que le plaisir de l’auteur de construire, en dehors de toute détermination, une chose contractée, dont les suggestions soient infinies, à la façon, d’un haïkaï japonais.
En somme, un poème en prose est avant tout un poème, et toutes les qualités que l’on exige du poème moderne : condensation, rapidité des images, sobriété doivent se trouver en lui. Il ne doit pas être prétexte à délayage, à éloquence, au contraire puisqu’il est né en réaction contre les méfaits du style poétique ancien. [Voir le texte intégral de cette conférence [ ]]