Editorial de présentation du Carnet 35/36
170 ans de poèmes en prose
Cette anthologie a un but, faire mieux connaître le poème en prose que Louis Guillaume tenait pour essentiel dans sa pratique poétique et que nous perpétuons depuis trente-six ans au sein de l’association LES AMIS DE LOUIS GUILLAUME en décernant, chaque mois de janvier, le prix du poème en prose Louis Guillaume à des auteurs aussi talentueux que différents. Le lauréat que nous venons de couronner cette année, Raphaël Miccoli, est âgé de seulement vingt-sept ans. C’est démontrer, s’il en est besoin, l’actualité de cette forme poétique, sa vivacité, son devenir.
Dans la composition de ce double carnet 35/36, il nous a semblé nécessaire d’insérer des études d’universitaires et d’écrivains francophones venus des pays les plus proches comme les plus lointains. Nos correspondants à l’étranger ont répondu immédiatement à notre appel. C’est donc à une fête, à un feu d’artifice autour du poème en prose que nous vous invitons, afin d’éclairer son mystère, son imaginaire, sa durable densité formelle.
Aloysius Bertrand, Louis Guillaume mais aussi Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, René Char, Francis Ponge nous ont offert autant de joyaux formels que de pierres volcaniques, poreuses, trouées, porteuses de laves charriant des boues alluviales propres à la formation d’autres gemmes. Ainsi, par l’eau et le feu, s’élargit et se resserre le champ lexical, syntaxique et structurel du texte en gestation, se dessinent les contours de nouveaux poèmes en prose.
Une véritable ascèse se perpétue d’un poète à l’autre de L’Ancre de lumière de Louis Guillaume à La Barque de Francis Ponge. Le galet n’en finit pas de se polir sous les doigts de l’artiste. Ainsi, coule la clandestinité langagière de l’homme futur qui écrira le dernier poème lu par le dernier lecteur, dans la sphère d’un temps requalifié.
JEANINE BAUDE
Editorial de présentation du Carnet 37
Le journal de Louis Guillaume
et les journaux d’écrivains
Un journal d’écrivain accompagne l’œuvre de son auteur, l’éclaire. L’homme nous devient plus intime, plus proche. L’émotion, l’humour, la nostalgie tracent des routes parallèles, des sentes nuageuses, un chemin des écoliers qui évoquent sans trahir mais avec une certaine distance le propos des livres.
Louis Guillaume a tenu un journal quotidien de 1935 jusqu’à la date de sa mort, en 1971. C’est pourquoi l’association Les Amis de Louis Guillaume a souhaité consacrer ce carnet 37 à ses précieux cahiers déposés à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris.
Louis Guillaume se levait à l’aube et couchait ses impressions d’une traite, relatant ses rêves de la nuit comme les plus petits événements de la journée passée ainsi que les faits littéraires qui lui paraissaient d’importance. C’est ainsi que vous pourrez lire, au fil de cette publication, aussi bien un pertinent cahier de vacances sous la plume de Paul Farellier ou de Jeanine Salesse qu’une étude circonstanciée de Max Alhau sur les revues littéraires auxquelles Guillaume participait activement comme Les Cahiers du Sud, Réalités secrètes ou Le Mercure de France. Ce panorama de la vie intellectuelle de notre vingtième siècle s’ouvre encore davantage sur son prolongement artistique avec les pages que Katty Verny-Dugelay consacre à la peinture. Chaque communication est accompagnée des extraits « pris sur le vif » du journal de Louis Guillaume.
Plus en avant dans ce carnet, l’autoportrait de Guillaume que nous dessine Sylvestre Clancier, d’après le célèbre portrait de l’écrivain gravé par Vincent Monteiro, dégage un champ d’investigation à la fois ample et intime qui croise l’aventure de ces créateurs et amis de Louis Guillaume que sont Marcel Béalu, Anne et Georges-Emmanuel Clancier, Jean Rousselot, Paul Chaulot ou Monteiro lui-même. Ce compagnonnage me conduit directement vers mon propre article sur Le journal de Louis Guillaume et les journaux d’écrivains. J’ai souhaité comparer les écrits matinaux ou nocturnes de personnalités aussi différentes que Paul Léautaud, Julien Green et Louis Guillaume. Pourquoi ce choix plutôt qu’un autre ? D’abord par plaisir : associer les argumentations caustiques de Léautaud aux réflexions plus posées de Julien Green est réjouissant, mais surtout en regard du liminaire qui ouvre ce carnet : Les journaux intimes par Louis Guillaume, sans oublier le fait que ce sont les deux « diaristes » les plus cités dans les pages de Guillaume. Enfin, tout au long de ce carnet vous retrouverez l’évocation du Journal de Hans qui accompagnait l’écriture du roman de Louis Guillaume : Hans ou les songes vécus. Une autre forme de « journal » plus écrite, vouée à la publication.
Nouveauté à signaler : cette année, nos pages s’enrichissent d’un Cahier de création où le poème en prose prend toute sa place. Un choix fait parmi les nombreux recueils reçus récemment, avec en ouverture deux textes de notre dernière et jeune lauréate : Déborah Heissler.
Bonne lecture !
JEANINE BAUDE
Editorial de présentation du Carnet 38 (photos de couverture ©Philippe Barnoud)
CORRESPONDANCES-COLLOQUE
Un double chapeau pour ce nouveau carnet, trente-huitième du nom, ce qui me permet de saluer le travail accompli par notre association depuis le carnet numéro un, daté de 1974. Un long, précieux, rare itinéraire qui mérite d’être salué. […] Le numéro trente-sept était consacré au Journal de Louis Guillaume, la riche correspondance venait tout naturellement en suivant. Notre bureau a acté pour ce choix. Nous vous proposons, dans les pages qui suivent, une lecture des lettres échangées entre Louis Guillaume et Marcel Béalu. Elles sont, à ce jour, totalement inédites. L’amitié entre Marcel Béalu, auteur reconnu pour ses nombreuses et fortes publications : en poésie, entre autres, L’Île au cri de silence (Cahiers de Rochefort), L’Air de Vie, Ocarina (Seghers), La Voix sans nom (Rougerie) ; ses romans : Mémoires de l’ombre, L’Expérience de la Nuit, Journal d’un mort (Gallimard), Passage de la Bête (Belfond)… et Louis Guillaume fut un chemin mitoyen, long, sensible et novateur. Vous trouverez, dans cet échange épistolaire, de la sensibilité, de l’ironie, une franchise décapante et un tableau de notre siècle littéraire, au plein cœur du fracas de la Seconde Guerre mondiale.
Par ailleurs, Louis Guillaume et Marcel Béalu s’entretiennent très souvent du sort et de l’œuvre (généreuse et belle) de Max Jacob, en ces temps difficiles et à la veille de sa mort au camp de Drancy. C’est pourquoi, il nous est apparu tout à fait complémentaire et capital, d’ajouter à ce choix premier, des lettres riches de sens de Max à Louis. Un autre échange ponctue cette section, celui de Gaston Bachelard vers Louis Guillaume, le philosophe et le poète ayant eu une correspondance très suivie.
Enfin, une rapide présentation de notre colloque du 1er décembre 2012, dans le cadre de La Maison de la Poésie de Paris, vient compléter pour nos fervents (adhérents, amis et inconnus qui nous suivent, nous lisent et nous écrivent) le Carnet 35/36 consacré au poème en prose : Le Poème en prose en question, titre qui était aussi l’intitulé de notre colloque. Vaste sujet que des auteurs amis de toute la francophonie, nous avaient demandé de présenter en une journée de débats, à la suite de la parution du numéro susdit. Ce colloque a obtenu un très grand succès : plus de cent-trente auditeurs dont une cinquantaine de présents au repas de la mi-journée. Les débats furent de qualité, vivants et forts. Les lectures très captivantes : de jeunes auteurs tels : Déborah Heissler ou Yekta, des écrivains reconnus : Nicole Brossard, Sylvestre Clancier, Max Alhau… et tous ceux pour qui le sujet traité et l’œuvre de Louis Guillaume importaient. Nous remercions, ici, encore une fois La Maison de La Poésie de Paris et nos partenaires pour leur collaboration et leur aide.
En vous souhaitant un vrai partage et une bonne lecture, n’hésitez pas à nous écrire vos suggestions, vos réactions. (Quelques numéros de nos précédents carnets peuvent encore être mis à votre disposition.)
À l’avenir !
JEANINE BAUDE
Editorial de présentation du Carnet 39
LE POÈME EN PROSE
Un diamant aux multiples facettes
Les éclats du poème en prose sont multiples, brillants, valeureux comme la lame d’une épée qui tranche la gangue du poème, savants et savoureux. Façonner le poème en prose comme l’on façonne la pierre précieuse est tout un art. L’artisan y a sa place, l’ouvrier la vigueur de son travail, le poète sa demeure. L’ensemble de textes présenté ici en témoigne. Comme il nous assure de la pérennité de cette forme, de son acuité, de sa dimension très contemporaine.
Je salue, tout d’abord, la préface de Joëlle Gardes. Elle a su donner toute sa mesure à ce qu’il lui convient d’appeler cet « admirable monstre : le poème en prose », ses facettes diaboliques, son substrat profond, son noyau de pierre dure, cette pointe de lecture (comme il en est du diamant qui lit un microsillon) acérée et dévoilant toutes les richesses d’une composition musicale, d’une écriture en mouvement, fertile et sonore appelée poème.
La spécificité du poème en prose provient bien d’un alliage subtil, celui de la densité du poème et de la liquidité de la prose. Les tresser avec la justesse souhaitée reste une gageure dont les poètes d’aujourd’hui continuent à creuser le mystère.
Edmond Jaloux et Louis Guillaume nous le confirmaient déjà dans leur définition de ce bloc de cristal : le poème en prose « un morceau de prose suffisamment bref, uni et serré comme un bloc de cristal, et dans lequel se jouent cent reflets divers, une création libre n’ayant d’autre nécessité que le plaisir de l’auteur de construire, en dehors de toute détermination, une chose contractée, dont les suggestions soient infinies, à la façon d’un haïkaï japonais. » Bref, toute l’alchimie nécessaire à la composition d’une pierre précieuse, d’un diamant. Joëlle Gardes a eu raison de rappeler cette juste formule, ce trait exigeant et contemporain.
J’en viens donc tout naturellement aux choix de textes réunis dans ce carnet. Autant de facettes, autant de richesses, autant de pistes d’écriture, d’étude que de modulations : passages d’une tonalité à une autre, transitions par lesquelles s’opère une harmonie secrète née de l’oscillation des fréquences en vue de transmettre le signal de l’onde porteuse commune… jusqu’au MIC (modulation par impulsion et codage) de nos téléphones numériques…. Brève et amusante comparaison, s’il en est, pour appuyer la contemporanéité musicale et technique, les variations sonores de cette recherche poétique, pointue et plurielle à la fois.
Paul Farellier a choisi un classement thématique des poèmes. Vous retrouverez, parfois, quelques auteurs, ici et là, dans des rubriques différentes. L’avantage de cette partition en révèle toute l’étendue sémantique. De La cause des mots aux Méditants du sombre, de Passagers du monde à L’écoute des choses et du paysage, des Ironies du sourire intérieur à Les corps – L’autre et l’un, le champ du langage et du métalangage s’ouvre très largement.
LA CAUSE DES MOTS
Françoise Ascal (Prix du poème en prose Louis Guillaume 2014) :
J’ai toujours su qu’à l’intérieur du mot fougère il y avait des caches. De minuscules veinules accueillant le sang des filles qui ont froid. Ou peur. Longtemps j’ai trouvé refuge dans un amas de spores vert olive. […] Aujourd’hui j’apprends qu’il existe plus de treize mille espèces de fougères. […] Il y a les arborescentes et les royales, les minuscules aux rhizomes traçants, les écailleuses à souches, les bi ou tri pennées, les mâles, les femelles.
Pierre Autin-Grenier :
Ne dérangez pas le cheval mort qui, en permanence, sur l’épaule du poète sommeille. N’entrez pas violemment dans son monde, en frappant sur la table comme un voleur de chiens, un chiffonnier ivre ou un lecteur indélicat. Si vivre vous a fait perdre toute patience, alors passez plutôt votre chemin ; évitez les banlieues énigmatiques qui nous abritent.
IRONIES DU SOURIRE INTÉRIEUR
Michel Butor :
Au réveil, les fougères au bord de l’étang, les roseaux qui s’y plongent, les moucherons et menus moustiques, les pétales de bleuets et de boutons-d’or, quelques feuilles de cresson, un soupçon de sel et de sable, une pointe de vase bien verte ; il nous faut tout cela dans notre tasse de thé.
Georges-L. Godeau :
L’été, après le travail, je rentre à pied. Labyrinthes, brasiers, d’abord s’arracher, je suffoque. Puis la voie s’élargit. Parmi les enfants, les chiens, les vieilles femmes, je vais, je balance les bras, je fends l’air, qui se rafraîchit. […] Pas d’odeur de chlore mais d’aubépine, une sauce qui cuit, et la bouse. […] C’est là que je m’accoude au mur pour remercier les dieux de la journée.
MÉDITANTS DU SOMBRE
Saint-John Perse :
Les voici mûrissants, ces fruits d’une autre rive. […] Soleil de l’être, Prince et Maître ! nos œuvres sont éparses, nos tâches sans honneur et nos blés sans moisson : la lieuse de gerbes attend au bas du soir. – Les voici teints de notre sang, ces fruits d’un orageux destin.
À son pas de lieuse de gerbes s’en va la vie sans haine ni rançon.
Marc Patin :
Nous vivions au-dessus d’une tombe qui brillait sur toutes ses faces, qui brûlait, une tombe où les morts, plus haut que la terre vivaient comme des astres.
Ainsi à l’infini le poème en prose reste contemporain, se propose à notre « chair » de vivants, s’incruste dans nos cellules, soulève notre peau de lecteur, l’aère de son chant.
JEANINE BAUDE
Editorial de présentation du Carnet 40/41
DUO D’HONNEUR
Ce « duo d’honneur » comme son intitulé l’indique est un numéro double. Notre Carnet numéro 40/41 est, en effet, consacré aux hommages littéraires rendus tout au long de son parcours d’écrivain, à Louis Guillaume par ses pairs, poètes ou critiques, universitaires et prosateurs, d’une part ; et d’autre part, à celle qui a porté haut et fort la parole du poète, maintenu sa mémoire dans le cœur de ses amis, de ses fidèles mais aussi d’inconnus, la fondatrice (avec Marthe Guillaume, l’épouse du poète,) de l’association « Les Amis de Louis Guillaume », chère à nous tous, j’ai nommé : Lazarine Bergeret.
Le choix des proses critiques, afin de composer la première partie, n’a pas été facile, les hommages étant nombreux. Nous avons resserré notre corpus autour de ceux, parfois oubliés, lointains dans le temps, puis de ceux qui nous semblent incontournables, d’auteurs déjà décédés, de fidèles, autant que d’écrivains majeurs, précédés d’un liminaire de Pierre Gabriel, compagnon au long cours de Louis Guillaume :
Secrète et pourtant familière, nourrie d’humanité, de ferveur, de tendresse, soumise aux forces élémentaires et à leurs grandes voix oniriques, la poésie de Louis Guillaume n’en finit pas de prolonger en nous des résonances fraternelles.
Tout est dit ou presque. L’analyse littéraire et l’amitié vont de pair. Ce sera souvent ainsi dans ces lectures que nous vous proposons. Les universitaires les plus exégètes, les écrivains laisseront parler leurs sentiments à côté de leur savoir aiguisé. Ainsi, Georges-Emmanuel Clancier :
Le petit Louis Guillaume vivait là-bas [Bréhat] chez sa grand-mère maternelle. Il est aisé d’imaginer avec quelle ferveur l’enfant sensible […]
Mais aussi :
Cela dit, Louis Guillaume, comme plusieurs poètes de sa génération qui succède au surréalisme, ne sera pas hostile à celui-ci mais ne lui sera pas non plus inféodé. Ce qu’il voudra, c’est vivifier les conquêtes de ce mouvement poétique tout en s’écartant de ce qui n’aura pu être qu’illusion temporaire. La découverte essentielle pour Louis Guillaume sera celle des Romantiques Allemands, à la lecture du très beau livre d’Albert Béguin.
De même, l’excellente analyse de Jacqueline Michel (Université de Haïfa) sur Une musique des vers, ou celle de Catherine Mayaux (Université de Cergy-Pontoise) qui, autour du recueil Fortune de vent nous entraîne jusqu’à l’impalpable, jusqu’au néant que l’homme et la poésie côtoient dans le même chant. Claude Jean-Nesmy conclut ainsi notre propos :
C’est d’ailleurs l’œuvre entière de L. Guillaume qui témoigne des « préoccupations d’un esprit qui resta, toute sa vie non seulement tendu vers la quête de l’expression poétique, mais vers la recherche des raisons profondes de notre existence. » (M. Béalu) […] Toute interprétation qui ne rendrait pas compte de cette portée proprement philosophique fausserait donc l’expérience d’Agenda – même s’il doit rester entendu que son témoin l’a vécue en poète, et qu’il met en œuvre sa poétique pour la consigner aussi purement et fidèlement que possible.
J’ajouterai : aussi lucidement et exactement que possible. Il n’est qu’à ouvrir Agenda à l’une ou l’autre page :
Une aile, coup de scalpel
Dans l’eau sans poids de l’aube
Et les lèvres de la plaie
Se referment dans un cri
Que boit vite le silence.
Poésie pure et questionnement, l’esthétique est haute, l’appel profond : celui d’une éthique de vie.
**
Éthique de vie que Lazarine Bergeret perpétue. Elle se donne entièrement au silence d’une écriture que la mort ponctue. Elle ouvre largement le champ, elle vivifie, elle poursuit. Dès 1971 – le poète décède le 25 décembre 1971, à l’aube, cette aube qu’il a tant vécue :
La musique de l’homme-oiseau perdure de neige en neige, d’écumes en marée, de brumes en solstice. Guetteur d’aube à tout jamais. (Jour après jour, mangé par l’aube. J. B.)
Et cela prend forme avec la création de l’association « Les Amis de Louis Guillaume » au seuil de 1973. Le premier prix du poème en prose sera décerné au poète Marcel Hennart pour Abeilles (Chambelland) en cette année 1973. Cela ne cessera plus. Tellement infatigable, Lazarine Bergeret, au service, entièrement au service de la mémoire du poète. Elle aimait à dire, comme pour adoucir, presque effacer cet immense et courageux travail : « J’avais à me faire pardonner ma colère d’adolescente envers Louis Guillaume devenu le compagnon puis l’époux de ma mère. Je n’ai pas toujours été juste à leur égard, face à leur amour rayonnant. »
Dans les pages de cette deuxième partie, nous avons voulu aller plus loin. Permettre à Lazarine Bergeret d’exister, dévoiler qui elle est vraiment, derrière cet écran poétique, « au service de ». Car la présidente de l’association durant de si longues années, jusqu’au seuil de ce troisième millénaire, avant que la maladie et l’âge ne l’obligent à se reposer, à lâcher du lest, témoigne d’un très noble parcours personnel.
Sa biobibliographie (pp. 267-276) est, tout simplement, impressionnante. À elle seule, situant un personnage des Lettres qui a accompli au service (encore) des enfants et de l’Éducation nationale, une œuvre au moins égale à celle de Louis Guillaume. J’ai choisi, là, de laisser la parole à ceux, de Katty Verny-Dugelay à Max Alhau, qui l’ont côtoyée plus de vingt ans et même quarante pour Max.
Éducatrice éclairée, amie des lettres et de la poésie, Lazarine Bergeret a apporté une contribution importante au rayonnement de notre culture en France et à l’étranger et elle mérite donc pleinement la distinction.
Tels sont les propos de Jean-Sébastien Dupuit, président du Centre National du Livre, le 21 février 2002, alors qu’il lui remet la rosette d’officier des Arts et Lettres, juste quelques mois avant que la maladie ne la contraigne au repos.
J’ai mis, avec les membres du bureau de l’association, toute mes forces dans la bataille pour que ce Carnet 40/41, en hommage à son travail et à sa personnalité puisse être lu, encore sereinement, par notre chère Lazarine, malgré sa longue maladie et porter à la connaissance de nos adhérents toute l’épaisseur cachée de sa vie d’enseignante, de conférencier, de créatrice.
JEANINE BAUDE
Éditorial de présentation du Carnet 42
Fêtons nos lauréats
1973-2016, une longue vie déjà pour le Prix du Poème en Prose Louis Guillaume : l’auteur disparaît à l’aube du jour de Noël 1971 ; dès 1973, son épouse Marthe Guillaume et sa belle-fille Lazarine Bergeret créent à la fois l’association « Les Amis de Louis Guillaume » et le Prix du Poème en Prose. Aussitôt, elles commencent la publication des carnets : le premier, qui ne compte que cinquante-cinq pages, paraît en janvier 1974. C’est donc une œuvre que nous perpétuons.
Ce Carnet Louis Guillaume numéro 42 se présente avec, en couverture, un portrait d’Aloysius Bertrand – ou, plus exactement, la photographie de son buste que l’on peut voir dans « le Jardin de l’Arquebuse » à Dijon –, car l’écrivain a été l’un de ceux qui ont le plus réfléchi et contribué à l’élaboration fascinante et précise du poème en prose, ce qu’a poursuivi Louis Guillaume. N’oublions pas les grands exemples comme les Petits Poèmes en prose de Charles Baudelaire (qui précédent Les Paradis artificiels), de L’Étranger à Anywhere out of the World et Les Bons Chiens – à M. Joseph Stevens –, le cinquantième et dernier ; excellente lecture pour nos candidats avant de devenir, pour certains d’entre eux, nos lauréats.
La dernière partie de notre Carnet est consacrée au Centenaire de Louis Guillaume que nous avons célébré fastueusement, en 2007, à Créteil, grâce à l’accueil chaleureux et l’accompagnement fidèle de la Direction de la Culture de la Ville de Créteil, de sa communauté d’agglomération, la « Plaine Centrale du Val-de-Marne ». Un hommage à Lazarine Bergeret de Christiane Bélert (Direction de la Culture de la Ville de Créteil) accompagne ce dossier. En effet, Lazarine Bergeret a longtemps vécu à Créteil et c’est dans le cimetière de Créteil qu’elle veut être inhumée. Louis Guillaume, Cristolien, a effectué ses classes primaires à partir de l’âge de sept ans à Créteil ; ses années de collège, non loin, à Arsonval, sur l’autre rive de la Marne ; et c’est dans cette même ville de Créteil, qu’il commence en 1928 sa carrière d’enseignant et rencontre une autre enseignante cristolienne, Marthe Bergeret, née Blanquet, « Marthoune », son égérie. Ils vivront sur les bords de Marne jusqu’en 1948.
La première partie de notre Carnet fête nos lauréats depuis 1973. Il n’a pas toujours été facile de retrouver les manuscrits (pour certains des tout premiers lauréats, le prix était donné « sur manuscrit ») et les ouvrages des auteurs primés de 1973 à 2016. Cela a été fait et, pour l’essentiel, réussi. Voilà donc un ensemble de poèmes en prose d’une grande qualité et qui mérite votre lecture attentive. C’est un peu comme remonter le temps, revisiter la vie de notre association, relier le passé et le présent de ces Prix du Poème en Prose. À la lecture apparaît comme une évidence la réelle qualité et l’étonnante variété de ces textes, témoins d’une recherche très pointue de la « fabrique » du poème : d’Albert Ayguesparse à Alain Freixe, de René Pons à Olivier Deschizeaux, de Gaspard Hons à Alta Ifland (États-Unis), de Jean-Claude Martin à Déborah Heissler :
Le ciel éclata en millions de gouttelettes. Au bout de quelques minutes, on avait l’âme trempée. Ni pluie ni brouillard. Ni bruine ni crachin. Lente décomposition résistant au soleil et à la nuit. Où l’on prendrait l’apparence d’arbres morts aux bras désemparés… [Jean-Claude Martin, Ciels de miel et d’ortie, Éditions Tarabuste]
Mélopée du torrent, tu t’insinues, tu me ravines. Tu imprègnes mes heures. Tu les dissous. Et de ma lente mort, je voudrais faire un chant de vie, de nudité, pareil à l’eau. [Marcel Hennart, Abeilles éblouies, Rougerie, prix décerné pour la première fois, en 1973]
Au fil de la lecture, l’émotion, la joie des retrouvailles avec ces écritures resserrées, ciselées, de « purs galets » selon l’expression de Louis Guillaume. La ferveur ne cesse pas avec les derniers primés, jeunes pour la plupart entre vingt-cinq ans et trente-cinq ans (Raphaël Miccoli, Mathilde Vischer, Sofia Queiros) ; la roue tourne dans le bon sens vers le meilleur, le futur enchanté du poème bien fait :
Désemparé, évitant les flaques et jetant une frêle lumière en avant, il se déplace, se déhanche, titube dans nos mémoires.
Il arpente le hameau. Son talon cogne le sol. Il tire sur son ombre. Passe entre deux rangées d’arbres. Suit un long couloir sous la lune.
« Je vais, dit-il, porter d’interminables requiems à ceux qui dorment sous le marbre ». [Dernier prix décerné, 2016 : Jacques Josse, Hameau mort, éditions Jacques Brémond]
En relisant Robert Nédélec, Françoise Ascal, entre les plus récents ; Raoul Bécousse, parmi les plus anciens ; Gérard Bocholier, Gabrielle Althen, le charme continue d’agir même dans la rigueur, même avec l’œil sévère. Nous vous souhaitons de belles découvertes dans ce chemin où éthique de vie et esthétique de mots se croisent ardemment.
Des pages inédites du Journal de Louis Guillaume (1er trimestre 1953) complètent ce carnet dans une fertile continuité.
JEANINE BAUDE
Éditorial de présentation du Carnet 43
Quand l’aube nous éclaire
« Le jour me suit et je me cherche dans ses yeux »
La Feuille et l’épine L.G.
Il me plaît de commencer cet éditorial avec une citation « solaire » de Louis Guillaume. Le poète se levait tôt. Avant d’accomplir sa journée d’instituteur, il s’asseyait à son bureau, dès l’aube. Les premières lueurs du jour lui offraient un nouveau poème.
Notre association se renouvelle, elle aussi, se reprend, se transforme dans ce même mouvement solaire. Une réunion de notre bureau, en novembre, décidera de son destin futur. Avec l’envoi de ce carnet 43 joint à nos vœux pour une année fertile 2018, nous vous tiendrons informés de cette transformation, de ce renouveau.
« D’un toit de chaume et d’une aurore
Sur des rochers de granit rose
Et toute nuit s’y réfugie. »
Nous ouvrons : les pages de ce carnet célèbrent des poèmes de Louis Guillaume qui n’ont été que peu publiés, lus, presque trop oubliés. À nous de les régénérer, de les donner à lire, de leur ouvrir une voie, de leur offrir une « voix ». Tout naturellement nous poursuivons avec ces « Études guillaumiennes », animées de la même lumière, en quelque sorte une façon d’approfondir notre lecture des poèmes.
Eva-Maria Brovédani, Katty Verny-Dugelay, Jacques Buge soulignent. À propos de Fortune de vent, c’est Eva-Maria qui écrit : « Sur les rivages du temps, un vent souffle… Venant de quelque part de mystérieux, des profondeurs du monde, le vent n’est pas tout à fait différent d’un rêve ou d’une rêverie. » Une belle entrée en matière, très « bachelardienne ». Jacques Buge, lui, forge sa plume à un moment décisif, alors que Louis Guillaume vient de mourir. Le vent d’hiver est puissant, glacé. D’une encre mallarméenne, il informe : « La mort triomphait dans cette voix étrange. » Un souffle d’outre-tombe, une parole inconnue ( ?), secrète, ou bien si chère, si proche assaille Jacques Buge. Il se pose la question : qui était Louis Guillaume ? En suivant, il s’interroge : qui suis-je ? Vent tournant du deuil et de l’envol. Katty Verny-Dugelay, à son tour, chante l’enfance et la chaumière de Bréhat, battues par la tempête, elles aussi :
Chante la mer et les vents
Harpe de mon cœur, Bretagne !
C’est toujours à l’îlot, c’est toujours à Bréhat
Que je songe sans cesse
Je revois la masure, ses vieux murs tremblants,
Son humble toit de chaume…
Nous y sommes : reconstruire. Cela peut se faire en ajustant les unes aux autres des voix nouvelles, celles de poètes de qualité qui ont soumis leurs livres au jury du prix du poème en prose. Cette courte anthologie, que nous vous proposons, permet d’en remercier quelques-uns pour leur participation et d’en faire entendre un écho juste et profond :
Jacques Ancet
Dans l’image on n’entre pas. Elle reste en face, comme posée devant les yeux qui lui donnent limites et profondeur.
Hélène Dorion
Le temps étreint chaque chose pour la transformer.
Comme un nuage pressé par le vent, notre vie avance et se métamorphose à mesure.
Métamorphose, le chant, la mémoire de Louis Guillaume, une route à suivre que l’association « Les Amis de Louis Guillaume » perpétue depuis plus de quarante années. Quel sera l’avenir ? À nous tous de le décider, de le fouiller entre les pages de ce (dernier ?) carnet que nous vous offrons, avec ferveur.
JEANINE BAUDE
Ouessant, samedi 16 septembre 2017
À noter: Nos adhérents – anciens et nouveaux – qui souhaiteraient acheter un exemplaire supplémentaire d’un Carnet antérieur (y compris les numéros 35/36, 37, 38, 39, 40/41 et 42) bénéficient d’un prix de fidélité de 20 Euros.